Le vent soufflait un peu plus fort que de coutume, soulevant des nuages de poussière qui voletaient autour de ses yeux comme autant de démons brumeux à l’allure menaçante.
Il leva la tête, humant l’air, sa mèche frontale ballotée par la brise balayant son champ de vision, puis fit lentement glisser sa main jusqu’à la poignée de sa dague, précautionneusement glissée à son ceinturon, dans un geste dérisoire de défense contre quelque chose qui ne serait nullement impressionné par un aussi insignifiant ustensile humain. Il venait de le sentir. Le parfum du renouveau. Cela faisait longtemps désormais qu’il l’attendait, mais à présent que l’heure était venue, il devait bien s’avouer quelque peu effrayé. Les effluves mystiques qui lui étaient parvenues à l’instant étaient toutefois assez encourageante quant au futur : une odeur douce, légèrement âpre de prime abord, mais chargée, dans un second temps, de saveurs chaudes et piquantes… Il resta là un bon moment, debout au milieu des roches, pensif. Sa « vision », si l’on pouvait nommer ainsi cette étrange prémonition olfactive qui était le propre de son don, l’avait fortement troublé. Il s’attendait à quelque chose de plus clair, de plus radical peut-être. L’odeur du fer et du sang, ou alors celle ô combien espérée, à la senteur sucrée caractéristique, de l’amour tendre… En aucun cas il n’aurait pensé que son destin serait quelque chose de si subtil, de si difficile à interpréter…
Un brusque et intense frisson le parcourut alors.
Comme toujours, la vision se déroulait par vague, olfactive, d’abord, puis sensitive, auditive, et enfin visuelle. Mais d’ordinaire la partie sensitive était de loin la moins perceptible, à la limite de l’existence… Or, cette fois-ci, il s’était s’agit d’une sensation presque violente, à deux doigts de la douleur, mais sans pour autant être déplaisante… Un sourire ironique effleura ses lèvres gercées par le froid : il était disciple de Sacrieur, évidemment que la douleur n’était jamais totalement déplaisante… Il essaye d’identifier ce qu’il avait ressenti, de l’analyser, de comprendre ce que cela signifiait exactement et d’en déduire une signification la plus plausible. Alors qu’à l’accoutumée il savait plus ou moins d’instinct déchiffrer ce genre de choses, il était pour une fois saisi de doutes. Ce frisson… Peut-être s’agissait-il d’un… doute ? D’une appréhension ? Vu sa force , peut-être était-ce même une forte angoisse… Rien de très réjouissant… Toutefois, il y avait eu cette chaleur très brève mais intense, juste après, un peu comme… Un baiser… Ou tout du moins un contact intime et chaleureux… Voilà qui était bien mieux.
Le vent se tut, laissant place à un silence pesant.
Murmure, bruissement, souffle, sanglot.
Il secoua la tête tandis que la nature reprenait ses droits sur le monde autour de lui, et que le vent se remettait à souffler sa colère. Cet aperçu-ci était moins ambigu. Les murmures et les souffles, bien qu’indistincts, étaient synonymes d’une proximité assez prononcée, et le bruissement semblait annoncer des contacts, mais brefs et irréguliers… Quant au sanglot… Il n’était pas vraiment nécessaire de passer de longues minutes à lui chercher une signification…
Flash. Noir. Rouge. Bleu. Or. Une couleur indistincte, mais à l’indéniable beauté. Lumière aveuglante. Ombre. Ténèbres. Lumière.
Sa vue mit plusieurs minutes à se rétablir, troublée par ces violents assauts. Il avait du mal à décrypter ce qu’il avait perçu, ce qui était encore plus inhabituel que pour ses prémonitions sensitives, puisque la vision sous sa forme visuelle avait toujours été pour lui la plus claire, ne laissant que peu de doutes sur sa signification. Là, rien n’était pareil… Il essaya de trier ses pensées, de définir chacune des choses perçues. Le noir et le rouge avaient été dépourvus d’éclat… Peut-être s’agissait-il de vêtements, ou alors de minerai, dans tous les cas quelque chose dépourvu de brillance. Le bleu avait été tout le contraire : rutilant, éclatant, scintillant même. Un peu comme une pierre précieuse, à bien y penser… Ensuite était venu l’or. Non… Pas de l’or… Blond ! Oui, c’étaient le blond foncé, peut-être même du châtain, caractéristique des cheveux. La couleur qu’il n’avait pas su distinguer… Il l’avait vue, emplie de reflets luisants… Son intuition lui glissa le mot « yeux », et son esprit s’accorda à dire que c’était somme toute assez probable. Des yeux, donc… S’étaient ensuite succédés ces alternance de lumière aveuglante et d’ombre pesante. Cela pouvait signifier beaucoup de choses… Mais la solution la plus simple étant bien souvent la meilleure, il n’était pas particulièrement futé de se lancer dans des interprétations douteuses… Cela devait être le symbole d’une situation changeante, passant facilement d’un plein bonheur à une tristesse profonde.
Il se releva. Etrange, il ne lui avait pourtant pas semblé s’être à un moment quelconque assis… Il haussa les épaules. Il lui arrivait assez souvent d’être indifférent à son corps lorsqu’il était pris de visions. Il s’autorisa un sourire : peut-être le futur ne s’annonçait-il pas si mal, finalement…
Il reprit la route le lendemain matin, après une nuit de repos, nuit bien entendu agitée, pleine de rêves au sens mystérieux… Il jeta son sac par-dessus son épaule, et s’avança. Devant lui, la plaine rocheuse s’étendait, fière, immense, et éternelle… Tandis qu’un rayon de soleil, l’un des premier à cette heure matinale, venait heurter la paroi d’un rocher fendu à quelques pas de lui, un éclat attira son attention. Un petit bout de pierre précieuse avait réfléchi la lumière, ravivant dans son esprit un souvenir. Un souvenir de la veille, mais aussi un souvenir d’une image l’ayant hanté plusieurs fois durant la nuit… Celle d’une magnifique gemme bleue, une gemme aux reflets enchanteurs… Un saphir…
Et alors, le vent, qui jusqu’alors c’était tût, se leva, et dans la brise fraîche du petit matin, il semblait emporter au loin l’écho d’un murmure…
Un murmure qui n’échappa pas à Snash, planté là, au milieu de la plaine…
Safyr…