Prélude : Une vielle légende...

Autrefois, du temps où le Monde des Douzes était encore le Monde des Dix, et où Osamodas n’avait pas encore pris la décision d’attribuer à ces malheureux tofus un physique plus gracieux, les Dieux n’étaient pas encore respectés comme il se devait.
Les hommes, éternels contestateurs de l’ordre établi, n’avaient de cesse de déroger aux lois édictées par les Dieux. Ainsi, on croisait de temps à autre des disciples de Sram faire des dons à des œuvres de charité, ou encore des disciples de Xelor ne pas respecter parfaitement leurs horaires (sans compter des Sadidas surpris avec un outil de travail à la main …). De tels blasphèmes et hérésies ne pouvaient être tolérés, ils risquaient de nuire à l’ordre de tout l’Univers.
Les Dieux se concertèrent alors, afin de trouver une solution à ce problème récurrent de désobéissance. Ils prirent la décision de choisir parmi leurs disciples les plus forts, les plus beaux, les plus intelligents, les plus prometteurs, et les plus fidèles… Une fois cette sélection faite, ils les chargèrent d’une mission de la plus haute importance : être leurs représentants sur terre, faire respecter leurs lois, et châtier sans relâche chaque infraction à leurs édits. Une seconde sélection, parmi cette élite, permit de désigner des dirigeants, qui seraient le lien direct entre les Dieux et leurs disciples. Il fut décidé que cette troupe, cette équipe punitive et invincible, serait instaurée sur terre en tant que Guilde, qui porterait le nom, dans l’antique langue divine, d’Ensis Exsequens.
Il en fut fait ainsi, et pendant plusieurs siècles la Guilde fit régner la loi céleste parmi le peuple. Il en résultat une longue période de paix et d’harmonie, et les Dieux se félicitaient au quotidien de leur décision.

Malheureusement, nul n’est immortel, même les héros favorisés par le pouvoir divin. Or donc, il advint que la plupart des membres de la Guilde prirent de l’âge, perdirent de leur force, et bientôt ils ne se montrèrent plus assez puissants pour défendre les intérêts de leurs maîtres. Un par un, ils moururent, que ce soit de maladie, de vieillesse, ou encore au cœur de combats titanesques où ils ôtèrent la vie à plusieurs dizaines d’ennemis.
Et, au fil du temps, il ne resta d’Ensis Exsequens qu’une rumeur, qu’un souvenir lointain et brumeux, que quelques trop rares traces écrites qui sombrèrent dans le néant…
Cette Guilde qui avait fait trembler les plus grands, qui avait été vénérée et adulée, cette Guilde dont les membres avaient été considérés comme des demi-Dieux… Cette Guilde sombra peu à peu dans l’oubli le plus profond…
Et une nouvelle période d’obscurité commença…

Le temps passa, tant bien que mal. Les Dieux prirent du recul par rapport à ces humains, qui semblaient tant se désintéresser d’eux… Et la vie suivit son cours. De nouvelles divinités firent toutefois leur apparition. Les déesses Sacrieur et Pandawa, respectivement responsable de la Douleur Sainte et de la Beuverie Sacrée.
Mais c’est à un disciple d’un des Anciens Dieux que nous allons plus particulièrement nous intéresser… Un disciple d’Ecaflip, en fait. Et plus particulièrement un guerrier félin répondant au nom de Démonis. C’était un véritable croyant, qui s’intéressait d’ailleurs assez fort aux temps anciens et à la puissance originelle de son maître. Il se lança, parallèlement à de nombreuses aventures épiques que nous ne pouvons malheureusement pas toutes décrire, dans des recherches approfondies sur le commencement des temps et le comment de l’élévation d’Ecaflip au rang des Dieux les plus vénérés.
C’est un vieil homme, sans doute un disciple déchu d’Enutrof ou de Xelor, qui le mit un beau jour sur la piste de la vérité vraie… (Certain disent que ce vieil homme était en fait l’incarnation d’un Dieu voire même du Destin lui-même…). Il glissa à Démonis qu’il trouverait la réponse à nombre de ses interrogations dans les sombres landes de Sidimote, et il lui décrit même plus exactement les coordonnées d’une ancienne chapelle dédiée aux Dieux. Il lui glissa que, sous cette chapelle, se trouvaient quelques uns des derniers manuscrits datant de l’antique époque du Monde des Dix.
Démonis s’y précipita, avide de connaissance. Il mit un certain temps à trouver l’endroit en question, mais finit par se retrouver face à un imposant édifice, sombre, inquiétant, et de toute évidence abandonné. Poussant avec difficulté les immenses battants de la porte d’entrée, il entra, ses pas résonnant sinistrement dans le hall principal.
Face à lui, de l’autre côté du bâtiment, une statue avait été érigée, la statue d’un sacrifié, bras en croix et tête couverte d’une capuche, sans doute pour en dissimuler les traits déformés par une souffrance indicible. Des restes de cadavres humains jonchaient le sol. Démonis se souvint tout à coup des vieux racontars sur l’endroit où il se trouvait : Gisgoul, le village dévasté des années auparavant par des hordes entières de Bworks et de guerriers Brâkmariens avides de massacre. Il n’avait pourtant pas remarqué, dans le reste du village, une ambiance aussi sombre et pesante qu’ici. Il avait l’impression que l’horreur s’était passée quelques minutes à peine avant son arrivée, et que la tension du moment ne s’était pas encore dissipée. Examinant de plus près un des squelettes, il distingua sur celui-ci les vestiges d’anciens équipements, qui bien qu’usés et en piteux état semblaient avoir été de la plus haute qualité, en leur temps. Ces morts n’étaient donc pas de simples civils venus se réfugier dans leur temple, mais bel et bien des combattants qui avaient lutté pour leur survie.
Démonis aperçut, dans un coin de la salle, une petite arche semblant donné sur un escalier qui s’enfonçait dans les noires entrailles de la chapelle…
Il emprunta l’escalier, et déboucha, après plusieurs minutes de marche dans l’obscurité, sur une petite avant-salle, faiblement éclairée de quelques torches disposées sur les parois. Il se demanda brièvement comment elles pouvaient encore luire, après tout ce temps, puis se dit qu’il s’agissait après tout d’un ancien lieu saint, et que peut-être un certain pouvoir divin y demeurait. Ou peut-être encore le vieil homme qui l’avait amené ici avait-il pour habitude de venir en ces lieux et prenait-il toutes les dispositions nécessaires… Le disciple d’Ecaflip se désintéressa de la question et poursuivit son avancée.
Il s’arrêta, stupéfait, en arrivant dans l’ultime salle. A l’autre bout de la pièce, dressé au milieu d’une mare de sang coagulé, se trouvait un autel sacrificiel. Au dessus de cet autel, la tête d’une idole, probablement une divinité Bwork, s’affichait dans toute son horreur. Pourtant, malgré la monstruosité et l’horreur de tout ce qui l’entourait, le jeune guerrier percevait autre chose.
Une sorte de présence, d’aura… Il s’avança vers l’autel, en quête de la source de cette aura. Alors qu’il arrivait tout près, il vit, juste au pied de la dalle morbide, une latte de plancher branlante. Dévoré par la curiosité, il sortit son épée, et s’en servit comme levier pour soulever l’ultime obstacle entre lui et l’obsédante chose qui l’avait poussé à venir.
Ce qu’il vit, soigneusement niché dans un petit habitacle, lui fit jaillir les yeux hors de leur orbite. Une demi-douzaine de livres reliés de cuir, respirant l’ancienneté, s’étalaient devant lui. « Prophéties », de Krän-le-Somnolant, « 11 Vérités sur la Vie et la mort », du philosophe Nérok, « Siècles passés », du légendaire historien Kolvyr… Démonis sentit de chaudes larmes de joie pure ruisseler le long de ses joues duveteuses… Tous ces ouvrages étaient depuis bien longtemps considérés comme disparus, et on parlait d’eux avec amertume et nostalgie, en pensant qu’on était passé à côté des plus grands savoirs qui soient en les laissant disparaître. Et voilà qu’il les découvrait, là, dans toute leur splendeur. Il tendit une main envieuse vers « Prophéties », quand un ouvrage, plus petit que les autres, attira son attention. Il se pencha et en distingua le titre, écrit à la main d’une écriture hâtive : « Ensis Exsequens, la vérité sur les nôtres. »
Curieux, il saisit le petit livre et en parcourut rapidement les premières pages. Il s’avéra qu’il s’agissait d’un carnet, rédigé par ce qui semblait être un membre important d’un ancien ordre quelconque. Peut-être la troupe chargée de protéger la chapelle ? Il avait semblait-il écrit ce manuscrit dans la hâte, afin de préserver des connaissances qu’il jugeait « trop importantes pour sombrer dans l’oubli ou dans de mauvaises mains ». C’était lui qui avait également entreposé dans la cache les autres grimoires « jusqu’à ce qu’une âme, jugée digne par les Dieux, mette la main dessus. ».
Poursuivant sa lecture, Démonis appris que l’homme était un des dirigeants d’une Guilde, nommée Ensis Exsequens. Au fil des pages, ses yeux s’exorbitaient. Ce qu’il y lisait était tout simplement fantastique, et remettait en question bien des faits jugés établis par tout le monde… Cette Guilde, dont il n’avait jamais entendu parler, avait été mêlée à pratiquement tous les conflits, armés ou non, survenus au cours des siècles. Elle avait défendu, avec acharnement et souvent succès, la volonté divine, que ce soit contre des monstres ou des individus rebelles. Démonis lut avec effarement les descriptions des membres d’Ensis Exsequens. Les plus grands héros, ceux qu’on célébrait dans les chants et dans les vieilles histoires, avaient en fait appartenu à cette Guilde, bien que ce fait ait été oublié à travers les âges…
Démonis lut, et lut encore. Il apprit les grandes lignes de l’histoire telle qu’elle avait été, et fut ébahi par tout ce qui avait été perdu au fil du temps. Alors qu’il était à la moitié de l’ouvrage, il fut interrompu par un bruit qui résonna soudain à quelques pas de lui.
Deux Bworks, torche et lame à la main, le regardaient fixement avec une lueur de haine farouche dans les yeux. L’Ecaflip dégaina rapidement sa propre épée, après avoir précautionneusement rangé le carnet dans une poche intérieure de sa veste. Il sauta agilement en direction du premier Bwork, et sa lame décrivit un large mouvement circulaire avant d’atteindre celui-ci à l’épaule. La lame transperça la chair et l’os, tranchant net le bras gauche, qui tomba lourdement au sol. Le Bwork, éberlué, regarda sans comprendre son membre secoué de spasme se tortiller sur le sol, et son adversaire en profita pour le décapiter proprement, avant de tournoyer sur lui-même et d’enfoncer sa rapière dans la poitrine de son second ennemi, d’un puissant coup d’estoc.
A peine essoufflé, il essuya rapidement son épée sur son pantalon, avant de la rengainer et de se retourner, prêt à se replonger avec passion dans la lecture du trésor qu’il venait de découvrir…
Il s’arrêta net, et quiconque aurait été présent à cet endroit à cet instant aurait vu s’inscrire sur son visage les marques de l’horreur la plus absolue. Là, à quelques pas de lui, sous ses yeux, les précieux et antiques ouvrages, miraculeusement parvenus jusqu’à lui brûlaient. Le bras arraché au début de l’escarmouche était celui qui tenait la torche du Bwork. Cette même torche qui, après avoir roulé lentement sur le sol, avait fini par arriver jusqu’au papier fragile constituant les grimoires, et à y mettre le feu.
Les livres les plus précieux ayant jamais existé se consumaient tranquillement devant le regard horrifié de celui qui, quelques secondes auparavant, était le plus heureux des hommes de les avoir trouvé…

Le jeune disciple félin sortit du temple, le regard et le cerveau vides. Il avait une mission. Il devait remettre sur pied l’ancien ordre, il le savait désormais. Ensuite, il pourrait se laisser aller au désespoir et songer à ce qui avait été perdu…

Démonis reçut, sans le savoir, la visite des Dieux, ce jour là. Ils insufflèrent dans son âme les informations nécessaires à l’accomplissement de leur volonté. Car c’étaient bien eux qui l’avaient fait venir en ces lieux oubliés, afin qu’il y trouve le carnet. C’étaient eux qui lui avaient indiqué où le trouver, en y apposant leur aura, puis qui, par la suite, avaient détourné son regard vers lui et non vers les autres ouvrages. Il était temps, en effet, que renaisse Ensis Exsequens.
Les Dieux n’étaient pas du genre à faire les choses à la légère, aussi avaient-ils, avant de mêler Démonis à leur plan, déjà choisi parmi leurs disciples quels seraient les nouveaux élus. Les critères restaient bien entendus les mêmes… Les plus forts, les plus intelligents, les plus agiles, les plus chanceux, les plus beaux, les plus riches, les plus drôles, les plus prometteurs, et les plus fidèles…
Le disciple d’Ecaflip n’eut donc qu’à errer de par le monde, les Dieux s’occupant de lui faire croiser ces guerriers qu’ils avaient élus.
Au fil du temps, il les rencontré, et les recruta. Il ne leur avoua jamais le but véritable de sa Guilde, du moins pas véritablement. Pour les attirer, il leur fit miroiter le plus efficace des appâts : le profit. Il leur dit vouloir monter une Guilde de mercenaires, une Guilde dont le rôle serait, en échange d’argent, de biens, ou de services rendus, d’aider ceux qui en feraient la requête. Ce qui n’était pas tout à fait un mensonge, c’était bel et bien le cas… Bien qu’il ait omis de préciser que leurs clients les plus importants seraient d’origine divine.

Le temps passa, la guilde enfla, et les Dieux, heureux de la tournure prise par les évènements, prirent du recul pour quelques temps, jusqu’à ce que le besoin s’en fasse sentir…

Malheureusement, pour Démonis, tout n’allait pas si bien. Hanté par le souvenir des grimoires, il avait du mal à se concentrer sur les affaires quotidiennes d’Ensis Exsequens. Ses absences devenaient de plus en plus fréquentes, tandis qu’il partait au loin, dans une quête impossible pour retrouver l’équivalent de ce qu’il avait perdu. Il perdait petit à petit la raison, et cela se répercutait sur l’ensemble de la troupe. Heureusement, des membres parmi les plus motivés décidèrent de remédier à la situation. Reprenant les choses en mains, ils assurèrent le bon fonctionnement des affaires courantes, et recrutèrent sans cesse plus de membres.
Les Dieux, qui n’étaient pas idiots, avaient, pour faciliter la tâche de recrutement de Démonis, réuni dans un même endroit plusieurs des fidèles qu’ils espéraient recueillir au sein de leur élite. Ces disciples-là s’étaient réunis, sous la tutelle d’un certain Osfrid, vaillant guerrier Sadida, dans la Confrérie d’Ilyasviel. Or, il advint que, par hasard ou pas, les jeunes co-dirigeants d’Ensis Exsequens croisèrent un jour le chemin de ceux de la Confrérie… Et, puisque le destin est bien fait, de fil en aiguille, les deux Guildes finirent par s’unir, pour le meilleur ou pour le pire.
Alors que tout allait pour le mieux, et que les différents membres apprenaient à se connaître et à cohabiter, Démonis revint. Il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait, mais semblait suivre une piste plus sérieuse que les précédentes. Voyant le travail accompli par ses « successeurs », il légua les pleins pouvoirs à l’un d’eux, un jeune Sacrieur du nom d’Eclat, qui l’avait fidèlement suivi depuis le début de son œuvre.
Mais les Dieux, qui n’avaient semble-t-il pas inclus le jeune Eclat dans leurs plans, firent en sorte de l’attirer ailleurs, et le fardeau de la gestion de la Guilde retomba finalement sur les épaules de son second, Snash, qui n’en demandait assurément pas tant.
Ce dernier, se rendant bien compte de l’ampleur de sa tâche et de la difficulté de celle-ci, décida de s’en remettre à l’intégralité de sa Guilde pour ce qui était de l’organisation hiérarchique au sein de celle-ci.

Les choses en étaient là quand, un soir, un vieux disciple d’Ecaflip vint toquer à la porte de Snash. Celui-ci, curieux, lui ouvrit. Il s’agissait de Démonis, qui, sans une parole, lui tendit un petit carnet relié de cuir et un morceau de parchemin.
Snash observa les deux objets. Il distingua le titre du carnet, écrit à la main d’une écriture hâtive : « Ensis Exsequens, la vérité sur les nôtres. »
Puis il déplia le morceau de parchemin chiffonné, et put y lire :

« A ceux qui lisent ces mots :
Vous êtes désormais membres d’Ensis Exsequens. Le Monde des Douze est empli de guerriers, de sorciers, de savants, qui obéissent aux Dieux. Ils sont leur bras armé. Vous, mes chers, vous, Ensisiens…. Vous êtes leur lame. »